Françoise, musicienne non-voyante.

Françoise est aveugle de naissance. C’est vrai qu’on dit plutôt « non-voyante ». « Aveugle », c’est un terme dur, violent, « non-voyante », c’est plus doux, comme « non-violent ». Il n’empêche que le résultat est le même : Françoise n’y voit rien, et ses yeux, ces fenêtres qui ouvrent sur le monde, ne lui servent à rien, sauf peut-être à pleurer. Encore que je n’ai jamais vu Françoise pleurer, ni même être triste ou en colère. Françoise est toujours souriante, bien mise et impeccable sur elle.
Nous sommes toutes les deux instrumentistes dans le même petit orchestre, moi aux percussions, elle, au hautbois. Elle a choisi cet instrument un jour que ses parents l’avaient emmenée au concert. Elle a été captivée en écoutant jouer le hautboïste, et a décidé que ce serait son instrument. Elle a pris des cours, a appris le solfège, et maintenant, elle joue dans deux orchestres.
Pour qu’elle puisse apprendre les morceaux, ses chefs d’orchestre les lui enregistrent, et elle les apprend par cœur. Elle repère ses interventions grâce aux autres instruments, et elle a un logiciel qui transcrit en Braille les partitions. Un jour qu’elle n’avait pas eu le temps de bien travailler sa partie, elle a apporté une feuille blanche constellée de petits points en relief : c’était sa partition ! Nous avions l’air un peu idiots avec nos propres partitions noircies de notes et de silences !
J’ai vraiment rencontré Françoise le jour où nous avons visité l’aven d’Orgnac. L’orchestre avait joué le soir sur l’esplanade devant la grotte, et le responsable du site nous a gentiment proposé une visite privée de l’aven. J’ai spontanément pris le bras de Françoise pour la guider, car le sol était glissant et inégal. Je pense que c’était la première fois qu’elle visitait ce genre d’endroit. Elle était fascinée par la résonance des sons, l’atmosphère, l’ambiance… Moi, j’étais fascinée par elle, par tout ce qu’elle devinait sans rien toucher. Là, elle sentait que l’on rentrait dans un boyau plus étroit, là, elle percevait une immense salle… À un moment donné, elle m’a murmuré : « Tu crois que je peux toucher la paroi ? ». On nous avait recommandé de ne rien toucher. « Bien sûr ! Lui ai-je dit. J’en prends la responsabilité ». Elle a effleuré une stalagmite… elle était aux anges !
Grâce à Françoise, j’ai eu envie d’aller au-delà, dans la découverte de l’univers troublant des non-voyants. Lors d’une visite au Futuroscope, je me suis inscrite à l’attraction « Les yeux grands fermés ». Un guide non-voyant demande aux visiteurs de se tenir par les épaules et les emmène dans un parcours plongé totalement dans l’obscurité. Grâce aux différences de température, à des senteurs particulières, à des ambiances sonores, on se trouve tantôt dans l’univers moite de la jungle, tantôt au cœur d’une ville bruyante, tantôt au sommet d’un glacier. J’avais la chance d’être la première du groupe : le guide me tenait fermement par la main. J’ai ressenti son assurance pour me guider à travers cet univers complètement obscur. J’ai pu imaginer sa fierté : pour une fois, c’était lui, non-voyant, qui nous montrait le chemin…

Témoignage d'une AESH
Dans cet article, nous allons vous présenter le métier d’AESH, suivi du témoignage de Mme Dikaya qui nous présentera son parcours, son rôle, ainsi que les moyens mis à sa disposition.